École d’art, Châteauroux, France

Si j’étais le point de vue, exposition personnelle, 2003, Galerie du collège Marcel Duchamp, Châteauroux, France

Texte de présentation de l’exposition

Hélène Marcoz prélève dans l’espace urbain des signes visuels propres aux métropoles. Elle confronte ainsi dans la galerie, des plans de ville « Cartes à gratter » et deux photographies panoramiques « Le café de la Paix » et « Le métro ».
Placées en vis-à-vis, les deux installations photographiques se répondent et évoquent la vie ordinaire, en proie au rythme effréné des grandes villes, dans divers lieux publics.
À première vue, rien de très spectaculaire ne transparaît dans ces photographies car elles n’ajoutent rien au monde mais le réinvestissent par des écarts sensibles. Le dispositif séquentiel des images en est un indice; il introduit « une durée » propre au cinéma. L’instant, cette limite abstraite et conceptuelle propre à la photo, est ainsi rejoué dans l’image par plans successifs, comme pour donner « du temps au temps ». De légers décalages de plan perturbent la continuité de l’image car l’artiste laisse à l’environnement le soin d’évoluer entre chaque prise de vues. Ces légères désynchronisations donnent forme à une réalité troublante.
Les sérigraphies sur carte combinent la notion de découverte d’une ville et de jeu à gratter. Hélène « gratte » sur une surface, enduite d’encre sérigraphique argentée, les trajets qu’elle a effectués dans des villes. Le plan de ville enfoui sous la pellicule ressurgit ainsi partiellement en mémoire des parcours quotidiens, insignifiants, noyés dans l’anonymat des grandes villes. Le geste d’Hélène actualise ainsi une disparition et fait valoir la nécessité d’un regard subjectif.
« Si j’étais le point de vue » questionne notre perception du réel. Comment avoir une image cohérente du monde alors qu’il est multiple, complexe, traversé par une infinité de réseaux et de mixages en tous genres ?

Nathalie Sécardin

Directrice de l’EMBA de Châteauroux
2003

Transcription de l’émission Multipistes diffusée sur France Culture le 16 décembre 2003, entretien Nathalie Sécardin, directrice de l’EMBAC, et Arnaud Laporte, journaliste.

Arnaud Laporte : Nathalie Sécardin, nous voilà donc maintenant dans la galerie de l’école des beaux-arts de Châteauroux, galerie qui donne l’opportunité aux artistes que vous accueillez en résidence de montrer leurs travaux, pas nécessairement réalisés ici. Alors comment s’imagine une exposition ici ?

Nathalie Sécardin : Pour cette exposition, Hélène, qui est traversée par une fascination pour le réseau, pour la ville, a imaginé une exposition qui est effectivement placée sous le signe des métropoles, de l’espace urbain.
Il y a, dans le cadre de la résidence, une somme d’argent qui est allouée pour produire une pièce ce qui a permis à Hélène de réaliser cette installation photographique qui s’appelle Le café de la paix. En vis à vis, il y a une autre installation qu’elle a pu réaliser grâce à une aide à la production de la région centre et montrer pour la première fois dans le cadre de sa résidence. Ce sont des photographies. Ce qui m’a plu dans ce travail photographique, c’est que à première vue, on a l’impression d’être en présence d’images qui sont un peu ordinaires, un peu sans joie, bref quelque chose qui se rapporte à la vie de tous les jours, à la banalité. Hélène invente une espèce de dispositif, un écart qui fait que ces images acquièrent une nouvelle réalité, qu’elles deviennent troublantes. Hélène invente une pratique, qui consiste presque à injecter du cinéma dans la photographie. C’est une manière de travailler qui démultiplie les points de vue, tout en jouant avec la notion de durée; il y a vraiment cette idée de contrer la fuite du temps. Hélène redonne du temps au temps par des images séquentielles et ces images séquentielles font en plus intervenir l’environnement. C’est à dire qu’Hélène laisse à l’environement le soin d’évoluer, de se transformer : c’est ce qui crée cette espèce de désynchronisation entre les plans et qui fait l’intérêt du travail.

Arnaud Laporte : Ces installations de photographies se présentent comme des panoramiques d’une certaine façon, mais de faux panoramiques car ils ne sont pas du même temps. Avec Le métro, Hélène donne à voir l’intérieur d’une rame de métro avec vue sur les quais, les quais de métro bien sûr, et en vis à vis, Le café de la paix est une vue depuis l’intérieur de ce café, à travers la vitrine, avec le trottoir et le store rouge du café qui descend sur la rue. Mais tout cela est un faux temps unique puisque la réalité de cette installation du métro, c’est à la fois Place des Fêtes, Pyrenées, Belleville, et ainsi de suite, nous nous trouvons dans un temps irréel.

Nathalie Sécardin : Voilà, en fait c’est un peu comme si l’on était partout à la fois. Alors cela peut correspondre à ce que la mémoire peut fabriquer, c’est à dire que l’on est capable d’avoir plus facilement le sentiment de la durée, de l’avant ou de l’après, de se projeter comme cela dans tous les lieux, et ce réel là en tous cas est faux. Ce n’est pas possible d’appréhender simultanément tous les lieux, mais pourtant quand on regarde cette image, ce n’est pas véritablement choquant.

Arnaud Laporte : Et voici une autre façon d’apréhender le réel, l’espace et le temps avec ces Cartes à gratter. Ici on joue un peu sur les mots : ce sont des plans de villes, en tous cas on l’imagine, ça paraît assez évident, mais des plans de ville dont une partie des quartiers, des rues est occultée par ce matériau gris que l’on retrouve sur les cartes de la française des jeux, cartes à gratter pour découvrir ses gains. Donc chacun peut visualiser ce gris, le gris du banal aussi. Ces cartes nous donne à voir des villes dont restent seulement certaines artères, certains cours d’eau, certains parcs, comme des itinéraires ?

Nathalie Sécardin : En fait elle s’est inventée sa Carte à gratter, en se calant un peu sur ce que l’on peut effectivement trouver dans les bistros. Là c’est plutôt quelque chose qui joue sur la mémoire; le jeu consiste à réesquisser les parcours. Ce sont ses parcours, mais on peut aussi soi même s’imaginer les parcours que l’on pourrait, comme cela, faire réapparaître. Comment peut on se réapproprier cet espace dans lequel nous sommes noyés : qu’est-ce que l’on a à gagner, à jouer, à rejouer ?

Arnaud Laporte : L’école municipale des Beaux-Arts de Châteauroux se trouve au 10, place Ste Hélène, et la très belle exposition d’Hélène Marcoz s’y poursuit jusqu’au 31 décembre.

©adagp-Hélène Marcoz